Etats-Unis: Une étude sur le coût des armes jette un pavé dans la mare
Difficile, ces dernières années, de passer outre le débat sur les armes à feu aux Etats-Unis, tant la controverse sur les conséquences sociétales de la liberté de port d’arme est vive dans le pays, et même au delà. Il faut dire que depuis la tuerie du lycée de Colombine en 1999, jusqu’à la récente fusillade entre bikers texans qui a fait neuf morts, en passant par les massacres du cinéma d’Aurora et de l’école Sandy Hook en 2012 (et j’en passe…), de nombreux faits-divers viennent cruellement nous rappeler combien la question est un enjeu majeur. Au delà des tueries médiatisées, environ 31 000 personnes décèdent par arme à feu chaque année aux Etats-Unis et bien plus encore sont blessées. Les meurtres par arme à feu, à eux-seuls, s’élèvent à 11 000 tués, quant aux suicides – y compris accidentels, phénomène loin d’être anecdotique – ils sont estimés à 20 000.
Mais alors même que le débat sur le contrôle éventuel des armes a toujours lieu au sein de la société civile américaine, très peu d’études à grande échelle existent pour tenter d’estimer de manière fiable le coût sociétal de la violence par arme à feu, la dernière remontant à 2005. Pourtant, la collecte de données, qui permet de quantifier un phénomène, est un préalable indispensable à toute prise de décision. Les agences gouvernementales de veille, comme les CDC (Centres pour la prévention et le contrôle des maladies) se sont vues interdire par l’administration toute recherche de grande ampleur sur le sujet.
La faute sans doute au très puissant lobby des armes à feu dont l’avatar qu’est la NRA (National Rifle Association) finance la campagne de nombreux parlementaires du Congrès – ce qui explique d’ailleurs l’échec d’Obama en 2013 à règlementer l’usage des armes – et fait pression sur les sphères du pouvoir pour bloquer toute évolution législative en sa défaveur. L’influence du lobby des armes atteint même la communauté scientifique, dont de nombreux chercheurs qualifiés se refusent à enquêter sur le sujet par crainte d’être stigmatisés et mis à l’écart de tout financement, malgré les appels de quelques voix discordantes.
Mais une étude publiée par le journal Mother Jones, en coopération avec Ed Miller, du Pacific Institute for Research and Evaluation, vient de briser l’omerta. Et ses résultats sont sans appel : le coût sociétal des armes à feu est considérable.
L’approche de ces travaux s’intéresse à deux types de coûts : directs, d’abord, et indirects, ensuite. Les coûts directs sont constitués des dépenses engendrées lorsqu’une balle frappe quelqu’un. Elles comprennent les recours aux services d’urgence, les soins de santé à court et long terme, mais également les frais d’enquête de police, frais juridiques et d’incarcération. Au total, 87% de ces frais sont à la charge du contribuable, ce qui correspond à 8,6 milliards de dollars par an. Quant aux coûts indirects, ils sont estimés à … 221 milliards de dollars par an. Parmi cette somme astronomique, 169 milliards proviennent de ce que les chercheurs appellent l’impact négatif sur la qualité de vie des victimes, dont l’estimation du montant s’appuie sur les dommages et intérêts fixés par les tribunaux. En outre, 49 milliards de dollars supplémentaires proviennent de la perte de salaire subie par les victimes, ce qui réduit leur consommation. Au total, l’étude conclut que le coût des armes à feu pour la société américaine dépasse les 229 milliards de dollars par an, somme supérieure, selon le journal Mother Jones, de 47 milliards au chiffre d’affaires annuel d’apple, et de 88 milliards au budget fédéral de l’éducation.
Pourtant, et bien que colossaux, les chiffres avancés sont sans doute en deçà de la réalité, pour diverses raisons. D’abord parce que les estimations sur les frais de santé à long terme à la suite d’une blessure par balle sont encore imprécises, dans la mesure où les connaissances sur les implications économiques à long terme du handicap demeurent incomplètes. En outre, si l’étude incorpore bel et bien les dépenses publiques de santé engendrées par les troubles mentaux consécutifs aux traumatismes, ces dépenses sont plus difficiles encore à estimer. Impossible, enfin, de rendre compte du traumatisme moral ressenti dans les communautés concernées, traumatismes qui engendrent inévitablement de la peur et donc un ralentissement économique, tout en encourageant des dépenses sécuritaires importantes, qui ont nécessairement un coût.
Reste que l’étude publiée par le journal montre à quel point le coût de la violence armée est élevé pour la société américaine. Bien les lobbyistes pro-armes les plus radicaux soient depuis longtemps les seuls à en douter, c’est un argument supplémentaire dont les partisans du contrôle des armes à feu pourraient profiter pour porter une nouvelle fois la question du contrôle des armes à feu devant le Congrès.